.......................................................

Voici la préparation de mon diplome de fin d'étude. Je travaille sur le quartier de la Lucilline à Rouen: un lieu excentré du centre au bord de la Seine et proche du nouveau pont levant.
Ce journal est un lieu de rencontre avec mes enseignants. Il me permet de leur présenter mon travail régulièrement et m'aide à organiser mes réflexions, mes recherches, mes interrogations...
Les messages sont classés par ordre chronologique. Ainsi les travaux les plus récents sont placés en haut de la liste. Le sommaire permet de trouver rapidement un travail dans l'archive du blog.

vendredi 2 novembre 2007

Théorie - Ouverture du sujet

L’histoire du projet


L’auteur initial du projet est la ville de Rouen. Cette dernière confia en 1999 à la société d’économie mixte Rouen Seine Aménagement un mandat d’étude préalable qui a :
- conduit et coordonné les études préalables, confiés à des tiers (étude d’impact loi sur l’eau, étude d’urbanisme par JF. Revert, une étude technique d’aménagement)
- établi un bilan financier de l’opération
- élaboré des dossiers de création et de réalisation de ZAC, en liaison avec l’adoption par la ville du PLU
- endossé la gestion administrative, financière et comptable de l’opération

Il s’établit alors un programme dicté à trois voies : la ville, l’aménageur et l’urbaniste Jean François Revert. Les principaux objectifs du projet sont :
- penser le développement économique avec l’accord de la chambre de l’industrie et du commerce. Le programme comprend une grande partie de bureaux et d’activités. L’ambition est de créer un nouveau « quartier d’affaire » pour la ville. Les études montrent un manque important de bureaux dans le centre ville. La dernière opération immobilière de bureaux remonte à la création du quartier St Sever, marqué par l’urbanisme fonctionnel des années 70. Il est aujourd’hui un quartier dégradé et peu chaleureux : manque d’espace dédié aux piétons, réseau d’infrastructure remplace un véritable espace public…La Luciline proposera un quartier plus « contemporain ».
- implanter des logements. La volonté de R.A.S est de créer une vie de quartier. La mixité logements / bureaux permettra de créer de l’activité humaine tout au long de la journée. Dans le cadre le la loi S.R.U, différents types de logements sociaux seront implantés.
- connecter avec les transports en communs. La Luciline est desservie par le TEOR qui la relie au centre ville. Un parking relais voiture/transport en commun borde la limite nord du site.
- travailler avec les constructions existantes. Le projet de J.F. Revert prévoit de conserver le groupement de maisons en impasse le long de l’avenue du Mont Riboudet. La réhabilitation de ces édifices est très onéreuse pour l’aménageur. Le reste des constructions seront détruites. R.S.A achète au compte goutte les parcelles. L’expropriation s’opère au cas par cas : négociation, relogement, rachat.
- conserver sur site les concessionnaires automobiles. Aujourd’hui, cette activité est gourmande en espace : le lieu de stockage des voitures est trop contraignant pour le nouveau quartier. Ainsi, plutôt que de stocker, vendre et assurer le service après vente, ces concessionnaires deviendront uniquement un lieu de vente. Le stockage et le service après vente seront délocalisés en dehors de la ville. Ceci nécessite un phasage et une indemnité pour reloger.
Ces intentions littéraires ont pris forme en plan et en règlement. Afin de se donner une totale liberté de composition, une Demande d’utilité Publique en vue d’une expropriation massive a été votée par le conseil municipal.

En 2006, R.S.A est mise en compétition avec un autre aménageur pour la mission opérationnelle. Elle la remporte et devient maître d’ouvrage. Il était alors temps pour eux de se doter une maîtrise d’œuvre urbaine. Ils lancent une consultation que mettait en compétition Jean François Revert, Christian Devillers, Philippe Madec. R.S.A était toujours séduite par l’approche de Jean François Revert. Toutefois, sa proposition d’honoraire trop onéreuse les a fait choisir Christian Devillers.
Les acteurs

· Pierre Albertini – député maire de Rouen
De couleur politique UDF, Pierre Albertini est maire de Rouen depuis 2001. Il est aussi président du comité d’orientations du PUCA. Cette personnalité politique est un peu atypique : P. Albertini est un homme actif accès sur la communication. Son blog sur Internet, véritable carnet de bord, permet à tous de consulter et de réagir sur ses états d’âme. Il y livre son actualité en menant une réflexion ponctuelle sur des sujets divers comme la vie de Rouen, la politique générale du pays, l’actualité internationale, la culture, etc.…
Ce personnage est l’acteur principal du projet puisqu’il semble détenir tous les pouvoirs : le pouvoir d’initiative et de décision (député-maire), pourvoir d’exécution (SEM), pouvoir de conseil (PUCA).
·Directeur de Service de l’urbanisme – Jacques André Châtillon

· Rouen Seine aménagement – société anonyme d’économie mixte
Société de vingt personnes, elle a pour actionnaire au capital :
- des collectivités locales : Communauté de l’Agglomération Rouennaise, Communauté d’Agglomération Elbeuf boucle de Seine, le Département le la Seine Maritime, la ville de Rouen = 63%
- des organismes publics et parapublics : groupe Caisse des dépôts et consignations, la Chambre de Commerce et de l’industrie de Rouen, le comité interprofessionnel du logement = 37%
Le président de la société est Pierre Albertini et Hervé Galerneau en assure la direction générale. R.S.A intervient aux trois stades de la vie des projets : la conception, le montage et la réalisation.
Charlotte Masset est actuellement la chef de ce projet. Elle est ingénieur des Ponds et Chaussée spécialisée en urbanisme.

La démocratie localeLa Démocratie locale est un service de la Ville de Rouen rattaché à la Direction des Personnels et Services de Proximité. Elle gère 14 conseils de quartier ainsi que certaines phases de concertation. Il s'agit d'un service public créé par la loi de 2002 sur la démocratie de proximité.

. Jean François Revert
Architecte urbaniste, il travaille à St Malo depuis 1978. Il a remporté en 1990 le Grand prix d’urbanisme. Depuis 1968, il s’est impliqué dans des projets dits « participatifs » au contact des habitants. Pour lui, « la qualité du projet urbain ne peut résulter du seul concepteur, quel que soit son talent. La réussite sera celle d’une équipe de partenaires intégrant des décideurs fortement impliqués ».

. Christian Devillers
Grand prix d’urbanisme 1998 et Equerre d’argent en 1984, il est à la fois chercheur et praticien. Son parcours professionnel, riche de rencontres (Louis Kahn, Paul Chemetov, Bernard Huet, Paul Bossard) lui a permis d’intervenir dans de nombreuses disciplines liées à l’architecture : urbanisme, recherche théorique sur le projet urbain, enseignement français et international,…
Loin des méthodes planificatrices, Christian Devillers regarde la ville comme un lieu chargé d’histoire et d’usages. Le projet urbain doit créer des espaces habités conçus à deux voies par des hommes « de l’art » et des hommes techniques. D’après lui, le travail sur la ville se nourrit de son propre substrat et devrait aboutir à une amélioration du lieu.
Il est de ces architectes qui focalisent leur travail sur l’espace public et sur les règles de formation de la ville : « Faire du projet urbain, c’est parler de la relation plutôt que des objets ; dans le temps autant que dans l’espace ». Son rejet de l’objet architectural s’accompagne d’une sévère critique de l’emploi des images dans le processus de conception : à la fois séduisantes et trompeuses, elles « évacuent la vie réelle et les enjeux réels du projet ».

. Etablissement Public Foncier de Normandie
Les projets

Les deux projets font table rase d’une importante partie des édifices présents sur le site. Ils fonctionnent sur le principe de l’îlot « ouvert » : des plots de hauteurs et de formes différentes ponctuent les angles laissant le cœur vierge de toute construction. Des voies orientées nord/sud, découpent le quartier offrant des vues vers la Seine.

Le projet Jean François Revert
L’architecte, pour créer des îlots « habitables » découpe la zone au moyen de deux rues et d’un mail planté donnant sur les docks.
Il préconise d’installer les immeubles de grande hauteur (bureaux ou logements) le long de la Seine. L’arrière front, bordant le mail, est constitué d’immeubles moins hauts.
Les concessionnaires automobiles, le long de la limite nord, sont maintenus en place. L’architecte propose de concevoir des bâtiments permettant d’accueillir au rez-de-chaussée les showroom et des bureaux aux niveaux supérieurs.

Le projet Christian Devillers
Il s’appuie largement sur les principes de JF. Revert pour établir son projet tout en réalisant quelques modifications :
- les nouvelles voies sont piétonnes. La voiture emprunte uniquement les voies existantes.
- le mail central est légèrement rétréci. Il s’est transformé en une voie de desserte voiture doublée d’une large promenade plantée. Devillers propose de prolonger ce mail jusqu’à la limite est pour permettre une meilleure accessibilité des voitures depuis le sixième franchissement,
- les immeubles hauts ne se concentrent plus en front de Seine mais se répartissent uniformément sur le site par points localisés
- les typologies sont plus variées : de la maison de ville R+1 à l’immeuble de 10 niveaux, l’architecte emboîte des systèmes urbains différents.
Devillers ne remet pas en question le programme donné.

Le programmeur
Les sens
Rapidement, la notion de programme revêt trois sens différents dans le champ qui nous intéresse :
- le programme comme affectation fonctionnelle d’un bâtiment,
- le programme comme cahier des charges confié au maître d’œuvre par le maître d’ouvrage regroupant l’ensemble des contraintes et des objectifs du projet,
- le programme comme processus d’établissement des intentions d’un projet (négociation entre des personnes, des temporalités, des échelles…)

L’aspect juridique
La profession de programmateur est apparue avec la loi de l’ingénierie en 1973. Celle-ci dissocie la conception du programme et la conception du projet. Jusqu’à cette date, le programme, vécu comme de la planification, était pris en charge en interne par les institutions et les administrations centrales. La loi de 1973 donne aux ingénieurs (souvent urbanistes) une autonomie dans leur activité.
La loi de 1985 sur la maîtrise d’ouvrage publique rend les maîtres d’ouvrage responsable de la programmation.
La profession a aujourd’hui encore des difficultés à imposer ses compétences : « Malgré la reconnaissance sociale de l’utilité de la programmation dans le système de production du cadre bâti, la création d’instances de défense d’intérêts catégoriels et d’octroi d’une qualification, ou encore le développement de dispositifs de formations spécifiques, ce processus de professionnalisation n’apparaît pas à ce jour totalement abouti.»

Ses missions et compétences
Le programmateur, à la fois assistant à la maîtrise d’ouvrage et concepteur, doit pouvoir orchestrer la démarche de construction en consultant un système d’acteurs local. A l’écoute du maître d’ouvrage, il traduit en stratégies de projet le discours informel de ce dernier et semble rechercher l’intérêt de tous, au-delà des enjeux politiques et électoraux.
Le programme est un espace autour duquel se réunissent le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre, les financeurs, les institutions, les habitants et les usagers. Il est un lieu de partage et de mise en commun, mais aussi un lieu où s’affrontent les différents intérêts.

Trop souvent, le programme est considéré comme un document normatif alignant chiffres, montants et surfaces. Certaines actions tentent de le détourner vers des considérations plus qualitatives (mission interministérielle de la construction). Au-delà du projet final, le programme se doit de mettre en place un processus phasé dans le temps permettant à chacun d’y lire une idée forte tout en pouvant l’adapter au fil du temps.

L’institut de la Programmation en Architecture et en Aménagement présente les différentes missions très variées que peut endosser un programmiste :
- les missions principales : les études préalables (démarrer la réflexion), le pré-programme, le programme niveau esquisse/APS, le programme détaillé, l’adéquation programme/projet au cours des études de conception voire en phase travaux.
- Les missions complémentaires : assistance pour l’organisation d’une consultation de maître d’œuvre, l’assistance au montage et au suivi des marchés de définition simultanés, assistance au montage administratif et ou financier de l’opération, le management de l’opération, le management environnemental, l’assistance pour la communication du projet, l’évaluation « ex-post ».

La relation architecte/programmiste
La rivalité entre l’architecte et le programmateur est vécue des deux bords :
- l’architecte considère trop souvent que le programmateur fige le projet et lui donne forme : « La relation avec l’architecte est simple si le programmateur ne cherche pas à dessiner à sa place "
- le programmateur, en quête d’identité et de reconnaissance de ses compétences hésite à se dissocier les architectes : « Etre ou ne pas être architecte ? Les avis sont partagés… C’est obligatoire, disent les uns, pour savoir de quoi on parle, connaître les contraintes auxquelles le concepteur aura à faire. C’est dangereux disent les autres : un architecte ne maîtrise pas suffisamment l’organisation d’une entreprise. Il risquera d’entrer en conflit avec la maîtrise d’œuvre. »

Le cadre réglementaire de la ZAC

La zone d’aménagement concerté, cernée d’un périmètre dans lequel les règles de formation urbaines sont suspendues, est une zone à l’intérieur de laquelle une collectivité ou un établissement public est libre de construire un équipement ou un autre programme. Cette collectivité ou établissement public peut déléguer ses pouvoirs de maître d’ouvrage à un concessionnaire qui se doit de respecter le cahier des charges (m² de SHON) définit dans le dossier de réalisation de ZAC. La constitution de la ZAC permet à l’aménageur de faire une Demande d’Utilité Publique facilitant son droit de préemption sur les terrains privés en vue de maîtriser le foncier.
Dans l’emboîtement des différentes échelles de projet urbain, la ZAC est le dernier maillon de la chaîne : le Schéma de Cohérence Territoriale définit le Plan Local d’Urbanisme qui définit la ZAC. L’ouvrage « Echelles et temporalités des projets urbains » met en question ce système linéaire qui impose que l’on déduise le particulier du général. Serait-il possible, au contraire, d’expérimenter des projets à l’échelle locale (ZAC) pour ensuite les généraliser au territoire ?

Ouverture du sujet: programmation
Après avoir étudié le cadre général de la ZAC, il me paraît clair que la notion de programme est un sujet ni de discussion, ni de réflexion. A première vue, l’idée de créer un « nouveau quartier d’affaire » fait consensus entre la ville et l’aménageur (tous deux dirigés par P. Albertini), d’où cet aspect figé du projet. Il manque au tableau un contre-pouvoir qui pourrait engager une remise en question et une émulation dans l’équipe. Grossièrement, nous dirions : « le maire a voulu que… » et la SEM du maire fait.

Auteur/autorité
Dans un dictionnaire étymologique, il apparaît que les mots auteur et autorité ont une racine commune auct…
Auteur, XIIe (souvent écrit auctor ; au XVI e siècle. autheur). Emprunté du latin auctor, écrit aussi autor, author (proprement « celui qui accroît », dérivé de augere « augmenter »), d’où « créateur, auteur d’un livre, d’une action, etc. » (avaient en outre des emplois juridiques)
Autorité, XIIe. Souvent écrits auct…, jusqu’au XVIe, et auth…, XVe et surtout XVIe. Emprunté du latin médiéval auctorizare et du latin classique auctoritas, écrits aussi aut…, auth.., dérivé de auctor.

La question du programme est directement liée à celle de l’autorité. Qui, dans un projet urbain, a l’autorité d’orienter et de valider les intentions programmatiques ? Autrement dit, qui est l’auteur du programme ?
Dans le cas de la ZAC Luciline, il semblerait que l’auteur, incarné par P. Albertini, soit unique.

Ouverture du sujet: négociation

Cette question en induit directement une autre : quelle place donner à la concertation dans un projet ? Sous quelle forme ?
La concertation implique la participation de différents acteurs à un même travail. Elle permet donc d’atomiser l’auteur unique en différentes cellules de décision qui convergent vers un but commun : le programme.
La participation des habitants peut constituer ou non un des acteurs de la concertation.

Sur la ZAC Luciline, la concertation a été formelle et consensuelle. Cette concertation, souvent sous forme d’information, est imposée par la loi dans la constitution d’une ZAC. Plus qu’un mode opératoire volontaire, elle est utilisée ici dans son cadre réglementaire minimal.

Ouverture du sujet: processus / échelles et temporalités
L’exemple d’Echirolles– Banlieue de GrenobleA la fin des années 80, les élus s’interrogent sur la possibilité de créer un nouveau centre ville. Pour se faire, Yves Sauvage, urbaniste, propose un projet d’espaces publics et d’infrastructures sans programme. Ceci permit de penser le projet comme un processus et non comme un programme figé de m².
Plus performant qu’un phasage, le projet engagea rapidement une transformation de la ville (construction des voiries) tout en permettant une adaptabilité dans le temps. Le découpage du foncier s’est opéré suivant les offres programmatiques qui se présentaient. Grâce à ce dispositif, une polyclinique privée et un complexe de cinéma ont trouvé leur place dans le projet alors que ce genre d’activité s’implantent aujourd’hui en dehors des villes.


Ce processus a pour avantage de garantir un espace public de qualité et cohérant sur l’ensemble du territoire de projet. La ZAC, au contraire, segmente la ville par « zones » fonctionnant avec des logiques autonomes. D’autre part, les aménageurs laissent penser que la construction des édifices dans une ZAC finance la réalisation des voiries. Dans quelle mesure est-ce vrai ? Yves Sauvage préconise un contrôle total des pouvoirs publics sur l’espace public, comprenant le désir de rentabilité et d’amortissement d’un aménageur, qu’il soit public ou privé.

Le cadre réglementaire de la ZAC peut être un point de levier pour entamer la critique du projet de la Luciline. Cette forme de ville met à mal les notions :
- de temporalité : l’expropriation permet de se libérer des contraintes foncières et de construire rapidement,
- de négociation : l’aménageur et la ville ont les pleins pouvoirs,
- d’échelle : le périmètre de la ZAC empêche de penser le projet à l’échelle de la ville,
- d’espace public : la pensée du découpage du foncier prime sur la pensée de l’espace public.

Aucun commentaire: